HOMME - Écologie humaine

HOMME - Écologie humaine
HOMME - Écologie humaine

Introduite dans les sciences humaines vers la fin du XIXe siècle par un naturaliste, F. Ratzel, avec des accents clairement darwiniens, la notion de «genres de vie», après avoir connu, sous l’impulsion de Vidal de La Blache et de Sorre, une éclatante fortune, est en passe de faire retour aux biologistes. En effet, la géographie humaine met de plus en plus l’accent sur le rôle des facteurs historiques, sociologiques et culturels dans l’évolution des groupes humains, laissant à l’écologie le soin de définir les relations entre l’homme et son environnement. L’étude des contraintes que celui-ci fait subir aux hommes peuplant tel ou tel milieu naturel, la découverte des mécanismes grâce auxquels ils parviennent à s’y adapter (avec l’inévitable marge d’erreurs qu’atteste une pathologie spécifique), tout cela préoccupe les biologistes et les médecins qui ont pour tâche de contribuer à rendre la biosphère moins inhospitalière aux foules humaines. Ce problème, aux données multiples et mouvantes qui s’interpénètrent en un inextricable écheveau, les écologistes, selon les circonstances et selon leur tempérament, tentent de le résoudre en s’efforçant de saisir l’un ou l’autre des bouts de la chaîne: certains donnent la primauté à l’homme, dans une perspective auto-écologique, qu’illustre le premier chapitre, tandis que d’autres l’enserrent dans son milieu, tentative synécologique que met en relief le second chapitre. Dans cette double approche prend corps le réseau dont les fils tissent nos destinées individuelles. S’appuyant à la fois sur les sciences humaines et sur les sciences biologiques, l’écologie humaine apportera sans aucun doute les bases d’une restructuration raisonnée des genres de vie.

L’influence du milieu sur la diversité biologique de l’espèce humaine

Comme tout être vivant, l’homme tend à s’adapter biologiquement aux contraintes du milieu. Il s’entoure ainsi d’un milieu tout particulier, où s’intriquent nature et culture. Le succès de son ajustement peut être conçu en termes très divers: épanouissement physique, bien-être sanitaire, équilibre mental, densité d’occupation du sol par exemple. Traiter de l’écologie humaine dans sa totalité reviendrait donc, à peu de choses près, à couvrir toutes les sciences humaines; c’est pourquoi on se bornera à étudier l’influence du milieu sur la diversité biologique de l’espèce humaine.

Le milieu influe sur la biologie humaine de deux façons: d’une part, pour bien des caractères, l’individu exprime son patrimoine génétique différemment selon les conditions dans lesquelles il s’est développé et vit, et d’autre part le patrimoine génétique collectif des groupes humains tend à évoluer vers un optimum d’adaptation à leur milieu, sous la pression de la sélection au long des générations.

Aussi sera-t-il question ici de la plasticité biologique, puis de l’adaptation génétique dans l’espèce humaine, ce qui amènera à évoquer le problème de l’avenir écologique de l’humanité.

La plasticité biologique de l’homme

Méthodes d’étude

Une première méthode consiste à suivre des individus soumis à un changement de milieu, soit que celui-ci résulte des circonstances (émigration dans un autre climat, atteinte par la famine ou une épidémie par exemple), soit qu’on ait institué une expérimentation visant à contrôler les variations de l’environnement, en soumettant par exemple des volontaires à des restrictions alimentaires rigoureusement calculées, ou à des conditions de chaleur et d’humidité réglées en chambre climatique. Cette méthode présente une limitation importante: elle ne peut mettre en évidence que la plasticité résiduelle, celle dont est capable un individu qui a atteint un degré avancé de son développement physique. Or c’est aux stades précoces de son développement que l’être humain est le plus sensible au milieu.

Une seconde méthode ne subit pas cette limitation; elle consiste à comparer des populations génétiquement semblables qui vivent dans des conditions différentes. Habituellement l’interprétation des observations est cependant rendue difficile par la complexité des différences de milieu et par l’incertitude quant au degré de similitude génétique des groupes comparés (cf. infra ).

Une dernière méthode utilise le cas des jumeaux vrais. Ceux-ci, dérivés d’un seul œuf fécondé (d’où leur nom de monozygotiques), sont identiques génétiquement. Toute différence qu’ils manifestent provient nécessairement d’une différence de milieu. Leur étude permet d’estimer l’étendue de la plasticité biologique humaine dans la mesure où des paires de jumeaux vrais peuvent se trouver soumis à des conditions contrastées [cf. JUMEAUX].

L’expression des caractères biologiques: les modalités de sa sensibilité au milieu

Certains traits héréditaires se manifestent de la même façon dans toutes les conditions de milieu. C’est le cas des groupes sanguins, sous leur aspect qualitatif: le groupe sanguin de l’individu est fixé rigoureusement à la conception; il n’est modifié qu’exceptionnellement par certaines maladies (leucose aiguë, par exemple).

Une telle stabilité n’est pas la règle. Le plus souvent, l’expression des caractères varie selon le milieu, parfois au point qu’un trait héréditaire ne peut s’exprimer que dans certaines conditions. C’est le cas de la prédisposition au diabète. C’est le cas aussi d’anomalies génétiques qui se manifestent sous forme de crises que déclenche la présence d’un facteur particulier: par exemple, le porteur de la déficience en une enzyme, la glucose-6-phosphate-déhydrogénase (G6PD), fait des crises hémolytiques lorsqu’il mange certaines espèces de fèves, voire lorsqu’il en inhale le pollen ou lorsqu’il ingère certains médicaments.

Pour les caractères anthropométriques (ceux que l’on mesure), l’hérédité dote l’individu d’une «fourchette» de valeurs: le milieu concourt avec elle à déterminer la grandeur atteinte. Pour déterminer la stature adulte par exemple, aux facteurs génétiques s’ajoutent une série de facteurs du milieu de l’enfance: l’alimentation (sa teneur en protéines et en calcium, notamment), les maladies, etc.

La croissance présente des périodes critiques. L’une d’elles se situe autour de la naissance; elle couvre les derniers mois de la vie intra-utérine et les premiers mois de la vie à l’air libre. Un arrêt du développement dû à un épisode aigu de famine ou de maladie qui, en dehors de cette période, aurait été suivi de récupération totale risque, s’il survient alors, de se solder par un déficit permanent. Le fait a été observé aussi bien dans le domaine du développement mental que dans celui du développement physique. Le sexe féminin résiste mieux que le masculin à de telles agressions du milieu durant la croissance, et son pouvoir de récupération est plus élevé.

Comme tout autre caractère biologique, la chronologie du développement est déterminée par l’hérédité et par le milieu. Par exemple, certains individus héritent d’une tendance à une puberté précoce, d’autres à une puberté tardive; sur ce fond génétique jouent tous les facteurs de milieu cités au sujet de la stature: alimentation, maladies, stimuli sensoriels et psychiques. La puberté est plus précoce dans les groupes sociaux favorisés, dans les familles qui ont peu d’enfants, en ville qu’à la campagne. L’influence du climat sur la puberté est controversée.

La plasticité physiologique permet à l’homme de s’adapter à une grande variété d’environnements. Les mécanismes mis en jeu tendent à maintenir l’organisme dans la gamme étroite de conditions internes compatibles avec la vie: par exemple, le maintien de la température centrale et de l’oxygénation des cellules nerveuses du cerveau.

Une réponse immédiate suit toute modification du milieu climatique: la chaleur provoque la sudation, le froid la constriction des vaisseaux cutanés, l’altitude une augmentation du volume d’air inspiré par minute. Si le séjour dans les nouvelles conditions se prolonge, des ajustements physiologiques plus profonds réalisent un acclimatement . L’acclimatement à l’altitude, par exemple, met en jeu une production plus élevée de globules rouges, augmentant la capacité de transport d’oxygène du sang, et l’excrétion d’une urine plus alcaline, compensant l’alcalose qu’entraîne la ventilation pulmonaire plus intense.

Parmi les exemples de plasticité qui ont été cités, plusieurs présentent un aspect adaptatif évident; ainsi les ajustements physiologiques au climat. D’autres réponses au milieu présentent un intérêt discutable: on a pu arguer que le poids plus léger qui résulte d’une alimentation réduite diminue les besoins énergétiques, mais n’est-ce pas au prix d’une baisse de rendement à l’effort si la masse musculaire participe à l’allègement? Bien des effets du milieu ne font guère que déterminer le degré d’épanouissement des potentialités génétiques.

L’adaptation génétique dans l’espèce humaine

Une population peut évoluer indépendamment des autres dans la mesure où elle est fermée aux apports génétiques; un pareil modèle de population fermée permet d’expliquer plus aisément l’adaptation génétique.

Dynamique de l’adaptation génétique

Dans le cas le plus simple, pour un caractère déterminé intégralement par l’hérédité, une population fermée possède deux variantes ou allèles, A et B. Pour ce caractère, les individus sont de trois types génétiques, ou génotypes: AA, BB et AB (comme les chromosomes qui les portent, les gènes vont par paires). Si, en moyenne, chacun des génotypes contribue à la génération suivante par le même nombre d’enfants, la fréquence des allèles restera la même au long des générations; la population est dite en équilibre neutre .

Supposons que le génotype AA ait en moyenne plus d’enfants atteignant l’âge adulte que les deux autres, du fait d’une fécondité supérieure, d’une moindre mortalité de ses enfants, ou des deux facteurs à la fois; de génération en génération, la fréquence de l’allèle A croîtra, en principe jusqu’à l’élimination totale de B. De même, A sera éliminé si le génotype BB a l’avantage. On dit qu’il y a sélection en faveur de A ou de B, grâce à la viabilité supérieure des génotypes homozygotes correspondants (AA ou BB).

Si le génotype qui contribue le moins à la reproduction est l’hétérozygote AB, le système va théoriquement évoluer vers l’uniformité, par élimination de celui des allèles qui était le moins fréquent au départ. En revanche, si le génotype AB contribue le plus à la reproduction, le système conservera les deux allèles; les fréquences de ceux-ci (dont la somme vaut un) évolueront jusqu’à atteindre une valeur stable, prévisible si on connaît les contributions relatives des trois génotypes: on parle alors de polymorphisme équilibré .

Dans tous les cas, le système génétique évolue vers l’état qui confère à la population le plus haut potentiel de reproduction. C’est ce qu’on entend par adaptation génétique .

Pour les systèmes où les coefficients de viabilité des génotypes varient selon le milieu, l’état final différera d’un milieu à l’autre: il y aura des adaptations particulières. Pour ceux où les coefficients de viabilité (ou du moins leur rapport) sont universels, il y aura une adaptation générale, commune à toute l’espèce humaine.

Le nombre de générations nécessaire pour atteindre l’équilibre dépend de la vigueur de la sélection et de l’écart des fréquences initiales à l’état final; celui-ci est indépendant des fréquences de départ.

Deux populations placées dans le même milieu atteindront le même équilibre si elles ont les mêmes allèles au départ (ou si, en cours de processus, elles complètent chacune leur stock d’allèles par métissage réciproque). Sinon, les équilibres seront qualitativement différents. Au point de vue adaptatif, ils peuvent cependant être équivalents: à partir des stocks non identiques d’allèles, ils peuvent représenter une adaptation génétique à une même contrainte du milieu. C’est ainsi qu’une grande variété de polymorphismes équilibrés répondent à l’agression chronique de la malaria.

Quelques exemples d’adaptation génétique

Les cas les mieux élucidés d’adaptation génétique particulière concernent des facteurs sanguins à transmission héréditaire mendélienne [cf. HÉMOTYPOLOGIE]. On donnera par conséquent ici des exemples choisis dans le domaine de l’hérédité multifactorielle: ils concernent des caractères dont la part héréditaire est faite de l’interaction de plusieurs systèmes génétiques élémentaires. Tous ces traits étant, en outre, sensibles au milieu dans leur expression, distinguer ce qui relève dans les différences observées entre populations de cette plasticité et de l’adaptation génétique n’est pas aisé; il faut pour cela pouvoir observer des échantillons de ces populations vivant dans les mêmes conditions.

Premier exemple: la couleur de la peau. La mesure de la réflectance de la peau à la face interne du bras traduit approximativement la teneur, héritée, de la peau en mélanine, pigment foncé. La répartition des moyennes à la surface de la Terre n’est pas quelconque: les peaux foncées sont localisées en zone intertropicale. On l’explique en termes d’adaptation génétique. Les teintes claires sont favorisées en région peu ensoleillée: elles laissent pénétrer les rayons ultraviolets dans les couches profondes de l’épiderme où ils provoquent la synthèse de l’indispensable vitamine D. Comme toute population humaine conserve une diversité génétique de ses individus pour la couleur de la peau, la distribution mondiale de celle-ci est analogue à une gamme de polymorphismes équilibrés dont le niveau dépend du milieu.

Il en va de même pour le format et les proportions de l’organisme. La diversité génétique qu’ils montrent à la surface de la Terre semble répondre, à titre principal, aux exigences de l’homéothermie (maintien constant de la température interne); en climat chaud, où le problème majeur est le refroidissement de l’organisme, sont favorisées les morphologies qui présentent une grande surface par rapport au volume corporel; en climat froid, la morphologie favorisée est celle qui présente une faible surface relative, car elle minimise la dissipation des calories produites par les activités vitales.

Profondeur des adaptations génétiques particulières

Pour multiples qu’elles soient, les adaptations génétiques à des milieux particuliers sont superficielles dans l’espèce humaine. Elles constituent bien un handicap, mais toujours très léger, à la migration dans un milieu très différent. De plus, l’humanité dispose de moyens sans cesse plus efficients de pallier ces handicaps. Quelques doses de vitamine D chaque hiver suppriment celui qui est lié à la peau foncée en région peu ensoleillée. L’aménagement des habitations, des vêtements et des activités corrige les malajustements au climat. La prophylaxie médicamenteuse protège bien plus efficacement contre la malaria que le génotype le plus viable.

Les modalités de l’histoire de l’espèce humaine expliquent ce caractère superficiel des adaptations génétiques de ses populations. Celles-ci ont connu de tout temps des migrations les menant dans des milieux bien différents, qu’elles ont modifiés plus ou moins rapidement et profondément. Aussi leur optimum adaptatif est-il loin d’être constant. En outre, leur patrimoine héréditaire est sans cesse remanié par les échanges génétiques, sauf durant des épisodes d’isolement qui, à l’échelle de l’histoire humaine, sont fugaces.

L’adaptation génétique générale de l’espèce humaine

L’espèce humaine dans sa totalité présente une adaptation génétique générale qui lui confère sa profonde originalité au sein du monde vivant: c’est l’adaptation génétique à la culture. La lignée humaine a émergé, survécu et prospéré grâce à la transmission des acquis culturels accumulés: connaissances, techniques, modes de comportement et de pensée. Cette transmission n’a rien de génétique, elle se fait par le canal des moyens de communication entre les hommes, mais elle nécessite un substrat biologique adéquat. Par le jeu de la sélection, celui-ci s’est développé au long de l’histoire de la lignée humaine, jusqu’à l’émergence de la forme actuelle, Homo sapiens . Les populations qui composent celle-ci semblent disposer d’égales capacités génétiques d’accès à la culture. C’est sans doute qu’en ce domaine les forces sélectives sont les mêmes partout: pour toute société humaine, il n’est possible de survivre que par l’adaptation culturelle.

Toute population humaine recèle cependant une large diversité de ses individus quant aux capacités mentales: la distribution de celles-ci à la surface de la Terre se présente comme une série de polymorphismes équilibrés dont le niveau est semblable partout. Comme dans tous les cas de polymorphisme équilibré, c’est la population dans sa diversité, et non l’individu, qui est adaptée génétiquement.

Biologie humaine et avenir de l’humanité

La médecine et l’hygiène ont atténué ou annulé bien des pressions sélectives. Certains s’en inquiètent: l’humanité ne va-t-elle pas dégénérer?

En fait, il n’y a guère de gènes qui soient «mauvais» en soi. La plupart ne peuvent l’être que vis-à-vis d’un certain milieu, ou encore, c’est l’équilibre de la fréquence d’allèles qui est adaptatif, et non tel ou tel allèle. Si la transformation du milieu annule la sélection qui s’exerçait contre un allèle, celui-ci perd son aspect nocif, et l’élévation de sa fréquence ne représente pas une dégénérescence de la population. Certes celle-ci en acquiert une fragilité accrue vis-à-vis d’un mode de vie plus rude, mais on n’a pas à se référer à ce que deviendrait l’humanité privée de ses moyens culturels: elle périrait en un temps très bref.

Par exemple, le daltonisme est bien plus fréquent dans les populations qui ont un long passé de civilisation agricole que dans les groupes de chasseurs-récolteurs qui subsistent à l’heure actuelle. Sans doute y a-t-il dans les premières un relâchement de la sélection contre ce défaut génétique. On peut cependant se demander, dans ce cas comme dans bien d’autres où le même processus a été évoqué, si certains génotypes porteurs de l’anomalie ne sont pas favorisés dans les milieux où la fréquence de cette dernière se trouve élevée. De toute façon, quel inconvénient y a-t-il à une fréquence élevée de daltonisme si le mode de vie de la population rend ce défaut bénin?

Certes, l’humanité doit veiller à combattre les agents qui élèvent la fréquence des mutations, génératrices d’anomalies souvent tragiques: les explosions nucléaires dispensatrices de rayons gamma, l’exposition inconsidérée des glandes sexuelles aux rayons X, l’introduction de substances mutagènes dans l’alimentation ou les médicaments. Mais son souci majeur, pour sa vigueur biologique, doit porter sur l’épanouissement des potentialités génétiques de ses membres: notamment par l’amélioration générale de l’alimentation, de l’hygiène et de l’éducation, et par l’adéquation des tâches aux capacités individuelles.

En prévision des multiples milieux où l’homme vivra demain, il importe aussi de préserver la diversité génétique de l’humanité dans ses individus: elle est source de vigueur biologique, et est un des facteurs de l’adaptabilité générale que manifeste notre espèce.

L’homme et les biocénoses

Considéré dans ses rapports avec son environnement, l’homme est un animal singulier. C’est d’abord celui qui a envahi le plus largement les différents milieux de la biosphère: aucune espèce n’est aussi ubiquiste et son extraordinaire pouvoir d’adaptation tient à ses aptitudes biologiques, mais aussi et surtout à ses facultés psychiques. C’est ensuite parce qu’à la différence des autres animaux et des végétaux, l’homme ne se contente pas de s’intégrer aux biocénoses – c’est-à-dire aux groupements d’êtres vivants en équilibre relativement stable qui dépendent d’un environnement donné; il fait souvent subir au milieu où il vit des modifications profondes et même irréversibles, dont l’ampleur s’accentue et s’accélère avec le temps. Pendant des dizaines de millénaires, l’homme a vécu dans des abris simples (cavernes, abris sous roche, cabanes) et à l’état dispersé dans la nature. Il aura fallu quelques millénaires pour qu’apparaissent les premières grandes cités, mais la transformation de l’île, naguère boisée, de Manhattan en la plus grande cité des temps modernes n’aura demandé que trois siècles! Du fait de l’activité humaine, d’immenses zones de forêts ont été détruites et vouées à l’agriculture; d’autres ont été remplacées par la garrigue ou le maquis, d’autres enfin par le désert.

Après la vague industrielle massive qui suivit la Seconde Guerre mondiale, un nouveau problème s’est posé: celui de la pollution de l’environnement. C’est ainsi que l’eau des rivières qui servent de plus en plus de collecteurs aux égouts des villes renferme toujours davantage d’effluents biologiques (matières organiques, microbes, etc.) et chimiques. Cette «anthropisation» de l’eau qui n’épargne plus les grands estuaires et les zones cotières est inquiétante. Il en va de même pour l’air des villes, vicié par les déchets d’hydrocarbures brûlés (CO, CO2, goudron, etc.). Tout cela a amené les pays industrialisés (et parfois même les autres) à adopter un certain nombre de mesures d’épuration des déchets qui se sont avérées efficaces.

Les milieux peuplés par l’homme

Si l’on considère l’environnement, ou le «climat» au sens large, dans lequel l’homme évolue, il apparaît fait de trois composantes: physique, biologique et ethnosociale.

Le climat physique

Le climat physique concerne la température, l’humidité, les précipitations, les vents, etc., avec leurs variations obéissant aux rythmes journaliers et saisonniers, définissant les trois principaux types climatiques zonaux:

– Les climats intertropicaux , chauds et humides dans la saison des pluies qui peut s’étendre à toute l’année (sous l’équateur) ou se localiser dans des périodes très précises au fur et à mesure que l’on s’éloigne vers le nord ou vers le sud. Un climat tropical extrême est représenté par le climat désertique chaud, caractérisé par l’absence à peu près totale de précipitations, ce qui oblige les populations qui y vivent à faire preuve d’une remarquable faculté d’adaptation à la défense contre les variations thermiques et à la protection contre les radiations solaires. La majeure partie de l’humanité vit dans les régions intertropicales dans des conditions souvent précaires, car les grandes endémies et la sous-nutrition y sévissent.

– Les climats tempérés , marqués par deux saisons thermiques bien nettes (été et hiver), correspondent à la quasi-totalité des pays les plus développés; variations thermiques saisonnières et régime des précipitations caractérisent plusieurs sous-climats (océanique, continental, méditerranéen, etc.).

– Les climats froids des régions proches du cercle polaire, où l’hiver est très long et très froid, l’été court, et où vivent quelques groupes humains fortement adaptés à ces conditions d’exception.

Il faut enfin mettre à part le cas des climats d’altitude dont les variantes dépendent du climat zonal qui les environne. Sont particulièrement peuplées la région himalayenne (Tibet, nord du Népal) et la zone andine (surtout le corridor interandin péruano-bolivien) où vivent, entre 4 000 et 5 000 mètres d’altitude, des groupes humains qui offrent des adaptations respiratoires et circulatoires remarquables facilitant leur vie en faible pression d’oxygène.

Le climat biologique

Le climat biologique est étroitement lié au précédent et caractérisé par le type de végétation et de faune qui entoure l’homme. Il conditionne l’élevage, l’agriculture et donc le type nutritionnel du groupe humain. Il représente aussi l’essentiel de son environnement pathologique: infectieux, parasitaire ou viral (la transmission de beaucoup de germes tenant à la présence d’«hôtes vecteurs» favorables).

Le climat biologique correspond aux biocénoses (ensemble des espèces vivantes, à rapports très étroits, vivant dans un même lieu) qui ont été évoquées plus haut; on peut y distinguer plusieurs «faciès» (la forêt tropicale, la savane, le désert, la forêt tempérée, la plaine, la montagne, la toundra et la steppe, etc.). C’est la zone intertropicale, humide et chaude, qui offre les meilleures conditions d’ambiance pour la multiplication du vivant. C’est là que l’on observe le plus grand nombre d’espèces (y compris des micro-organismes, des parasites de toutes sortes et leurs hôtes vecteurs), dont beaucoup sont dangereuses pour l’homme.

Le climat ethnique et social

L’homme vit en groupes dont la structure est, au moins à l’origine, plus ou moins imposée par les conditions de milieu.

Initialement, dans les civilisations primitives du type paléolithique, les individus vivent en hordes numériquement faibles, se déplaçant à la recherche de leur nourriture, fournie uniquement par la chasse et la cueillette. Il existe encore de nos jours quelques peuplades appartenant à ce type archaïque (Veddas de Ceylan, aborigènes australiens, Bushmen et Pygmées d’Afrique noire, etc.). Leur pathologie est dominée par les syndromes d’agression biologique (parasitoses, maladies infectieuses).

Au stade suivant (type néolithique), les groupes se fixent et tirent leur subsistance de l’agriculture et de l’élevage, qui rendent les conditions alimentaires moins aléatoires, mais qui peuvent favoriser les maladies de type carentiel (avitaminoses, par exemple). Ce mode de vie permet le rassemblement de groupes numériquement plus importants, puis de vastes empires socialement très structurés. Au début, ce type de société est voué à la polyculture de subsistance: elle produit ce qu’il lui faut pour vivre et se développer. Ultérieurement, avec l’augmentation des échanges et la spécialisation des groupes sociaux, elle évolue vers la monoculture de commercialisation. C’est celle qui existe aujourd’hui dans les grands pays développés dont certaines zones demeurent encore à vocation agricole.

À un stade plus récent, la révolution industrielle est venue renforcer la société urbaine – qui, dans les pays les plus avancés, ne cesse d’augmenter de volume au détriment de la société rurale –, avec toutes les incidences de cette évolution sur le plan biologique (tendance au brassage des populations et donc au métissage, modification de la structure familiale traditionnelle et des rapports entre individus, etc.), en même temps que le milieu naturel se transforme profondément (disparition d’un certain nombre d’agressions biologiques, mais apparition de nouvelles «nuisances» telles que la pollution atmosphérique, le bruit, la promiscuité des grands ensembles, etc.), favorisant les maladies psychosomatiques et dégénératives d’une part, les syndromes d’agression toxique d’autre part.

L’ajustement entre l’homme et le milieu

L’homme peut donc vivre dans une infinité de milieux (physiques, biologiques ou sociaux) auxquels il s’adapte tout en les transformant de façon de plus en plus radicale. En fait, le terme d’«adaptation» recouvre, au palier humain, un ensemble assez complexe qui tient à la fois au biologique et au culturel.

L’adaptation biologique

On peut reconnaître deux degrés d’adaptation biologique:

– L’adaptation proprement dite (ou pré-adaptation génétique ) dépend du fait qu’un individu possède, dans son stock génétique, les facteurs lui permettant de s’adapter à un environnement donné. Pour cet environnement-là, les individus porteurs de ces facteurs sont favorisés par rapport à ceux qui ne les portent pas et, au bout d’un certain nombre de générations, les individus de type «adapté» ont éliminé les autres. En réalité, l’expérience prouve que les facteurs «inadaptés» ne disparaissent jamais totalement d’une population. Leur fréquence diminue jusqu’à un seuil au-dessous duquel elle ne tombe plus. Ce «polymorphisme génétique résiduel» constitue, en fait, une chance de survie pour le groupe dans le cas où les conditions d’environnement se modifieraient et rendraient, sous l’effet du hasard, «utiles» des facteurs considérés jusque-là comme neutres ou pernicieux.

La préadaptation génétique est mise plus facilement en évidence dans les populations vivant en conditions d’exception. Les Amérindiens des hautes Andes ont un équipement enzymatique d’oxydo-réduction cellulaire bien plus efficace que celui des Européens arrivant en altitude. Il s’agit là d’un caractère fixe, héréditairement transmis. Par contre, ces mêmes Amérindiens, qui vivent normalement dans un environnement pathologique faible, ont en partie perdu la faculté de synthétiser certains anticorps. Transplantés dans les plaines, ils réagissent plus mal aux agressions microbiennes ou parasitaires que les Indiens de la forêt, les Noirs importés d’Afrique ou les Européens.

– L’acclimatement , qui constitue une réponse immédiate (et donc acquise) à un stimulus extérieur, entraîne une «situation adaptative» transitoire. Un Européen arrivant dans les Andes lutte contre l’hypoxie par une multiplication rapide de ses globules rouges (polyglobulie réactionnelle). Mais celle-ci ne dure que tant que le sujet reste en altitude. Elle disparaît dès qu’il revient au niveau de la mer.

De même, dans des conditions semblables, tous les sujets, quelle que soit leur origine raciale, présentent une diminution du potassium, du sodium et du magnésium plasmatique en rapport sans doute avec l’augmentation de l’excrétion rénale de ces ions, destinée à compenser l’alcalose respiratoire. Au contraire, le magnésium des globules rouges augmente, par suite sans doute du renforcement de l’équipement des enzymes de la respiration cellulaire. Les Amérindiens d’altitude transplantés en basse terre conservent ces anomalies «adaptatives». Elles paraissent génétiquement fixes et irréversibles, même quand les conditions de milieu ne les justifient plus. Au contraire, l’Européen revenu au niveau de la mer retrouve très vite une composition ionique du plasma tout à fait normale.

L’adaptation psychologique et culturelle

L’adaptation volontaire, technique, joue un rôle essentiel et tend, surtout dans les sociétés les plus évoluées, à dépasser largement en importance l’adaptation biologique. Mis en présence d’un problème écologique, l’homme est capable de l’analyser logiquement et de définir la réponse la mieux adaptée. Les tentes des nomades sahariens répondent, de toute évidence, aux conditions optimales pour assurer la meilleure thermorégulation de ceux qui y vivent. L’igloo des Esquimaux est construit de manière à répondre au mieux aux exigences d’un climat froid. Ayant trouvé la solution d’un problème, l’homme peut la transmettre par l’éducation, de générations en générations (chacune d’elles pouvant d’ailleurs apporter des améliorations). C’est ainsi que le patrimoine culturel de l’humanité grandit sans cesse, et à une vitesse accélérée. Dans les sociétés modernes, la réponse aux exigences écologiques est apportée par la recherche scientifique appliquée. Les grands instituts définissent les meilleures solutions et les industries de pointe les réalisent. Ce processus de développement de la science (du type cumulatif) a finalement permis à l’homme de quitter la zone d’attraction terrestre et de marcher sur la Lune, performances qui étaient sans aucun doute très au-dessus des possibilités de l’adaptation biologique.

Ainsi, dernier venu sur la Terre, l’homme, par son psychisme, n’a pas tardé à dominer, puis à transformer profondément le monde qui l’accueillait. Cette action volontaire sur le milieu naturel a évolué, comme la technique et la culture, à une vitesse croissante pour atteindre une ampleur qui pourrait remettre en cause l’équilibre naturel. Arrivée à un stade critique de son évolution, c’est dans sa conscience que la société humaine doit trouver les solutions aux problèmes qui se posent avec acuité. L’homme dispose d’une puissance dont on ne voit plus les limites. Il doit consacrer sa science non plus uniquement à «exploiter» la nature, ce qui revient souvent à la détruire, mais à la protéger.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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